Accueil
Remonter

 

 

 

 

ARRAS – le retrait allemand

            Au début de mars 1917, les Boches devenaient très actifs dans les airs. Les D3 V-strut Albatros apparurent en nombre sur le font de la 3ème armée. Dans le même temps, un escadron composé de ce type  d’appareils, tous repeints, fut l’auteur de grands dommages dans les escadrons britanniques et nous causa beaucoup d’ennuis. Au sein du R.F.C. on les nommait « the circus ». Un avion en particulier, était appelé « pinck lady » selon une rumeur stupide qui laissait croire qu’il était piloté par une femme. Il était peint de couleur rouge vif. On le voyait souvent entre Arras et Albert. On pense que le pilote était Freiherr Von Richthofen l’aîné. Cette machine était celle qui s’est aventurée de notre côté des lignes le 6 mars 1917, abattit un F.E., engagea le combat avec Evelyn Graves et l’abattit. Sa machine avait pris feu. Quand on en retira son corps on constata qu’il a été touché en pleine tête ce qui lui a épargné une mort horrible dans les flammes.

            Après la mort d’Evelyn Graves, A.J.L. Scott, originaire du Sussex Yeomanry fut désigné pour le remplacer. Il était commandant de groupe au 43ème (un escadron équipé de biplaces  Sopwith). Il était boiteux à la suite d’un crash au début de la guerre. C’était le troisième commandant du 60ème qui se trouvait être boiteux.

            Scott entra en fonction le 10 mars 1917 au moment où l’offensive aérienne faite en prévision de la bataille d’Arras commençait à se développer.

            Durant janvier et février il y avait eu une accalmie sur le front de la 3ème armée. Par accalmie on entend que les pilotes ne faisaient qu’une sortie par jour au lieu des deux réquisitions quotidiennes quand la situation était favorable. La liste des pertes le prouve ; outre la blessure de Grenfels et Gilchrist en décembre et la mort d’Evelyn Graves, on ne dénombra que deux incidents : R. Hopper tué le 11 janvier et E.G. Herbert blessé le 28 février. On ne perdit aucun officier. Cela était dû en partie à la période de grand froid déjà évoquée qui a cloué au sol les appareils des Huns. Même quand les machines arrivaient à décoller, les armes ne fonctionnaient pas et souvent les pilotes, après avoir manœuvré les uns autour des autres se saluaient d’un signe de la main et rentraient au bercail. Pour l’hiver suivant, une huile pour arme, insensible au froid, fut mise au point. Ceci mit fin à ces interludes inopportuns et mal venus dans ce sévère business.

            Avoir cité la blessure de Grenfell m’amène à vous raconter comment cela s’est passé. Il dirigeait une O.P. (patrouille offensive) composée de Cardwell, Daly, Whitehead, Weedon et Meintjies qui a aperçu un Albatros biplaces au-dessus de Dainville, de notre côté des lignes. Toutes nos machines ouvrirent le feu contraignant le Hun à atterrir. Grenfeld, pressé de descendre pour le revendiquer s’écrasa et se brisa la jambe. Les cinq machines se posèrent et trois d’entre elles capotèrent heureusement sans conséquence grave.  Leurs pilotes n’étaient pas blessés mais aucun ne put reprendre l’air. Ainsi le Hun, au milieu du champ se trouva entouré de toutes parts de Nieuports accidentés. Pire, l’observateur Boche qui n’était pas blessé, ce qui n’était pas le cas de son pilote, mit le feu à l’avion pour qu’il ne tombe pas entre nos mains. La machine explosa aussitôt, blessant l’observateur et plusieurs militaires de notre infanterie qui s’étaient approchés. Si ceux-ci avaient pris plus rapidement la mesure de l’évènement, ils auraient pu empêcher la destruction d’un appareil qu’il aurait été important de préserver.

            La bataille d’Arras, comme on commençait à l’appeler, était maintenant imminente. Elle aurait probablement commencé avant le 10 avril sans un mouvement inattendu des ennemis. Le 30 mars, premier jour de beau temps après une période d’intempéries, la première patrouille qui revint de mission  rapporta avoir vu trente à quarante feux dans le proche environnement du secteur Arras – Albert. Tous les villages situés dans un espace de dix à quinze lieues étaient en flammes. Au début, nous ne comprenions pas ce que cela pouvait signifier. Bien entendu, un escadron du R.F.C. en savait mille fois plus sur ce qui se passe qu’un bataillon dans les lignes. Cependant nous n’avions aucune compréhension tangible des incidents que nous relations. Le G.H.Q. (État-major des services de renseignements) pouvait recouper nos données avec les nombreuses autres sources dont il disposait.

            Le retrait germanique du 14 mars fut une vraie surprise pour nous. Il faut dire qu’à ce moment-là de la guerre   nous étions tellement accoutumés à entendre que le moral des ennemis était miné et que leurs troupes allaient refuser de combattre etc … que nous n’accordions plus le moindre intérêt à ces billevesées. La vérité de ces choses – si c’était une vérité – n’allait se révéler que dix-neuf mois plus tard.

            Les jours suivants, 14 et 15, connurent un temps exécrable. En dépit de cela les patrouilles étaient continuellement envoyées pour évaluer la profondeur du retrait et repérer les nouvelles positions allemandes. La méthode grossière qu’il convenait d’appliquer était de voler aussi bas que possible ce qui nous plaçait à portée de la défense aérienne et des mitrailleuses au sol. Molesworth, dans une lettre, a parfaitement dépeint cette retraite ainsi qu’il suit :

Mars 1917 : « Pas de chance encore pour moi dans les lignes de huns, bien que, au sol, les mendiants semblaient courir droit devant eux.

Nous sommes sortis à trois l’autre jour et avons eu une météo très agitée.  Les nuages, très denses,  étaient à 3000 pieds, en mouvement çà et là. Nous avons passé les lignes et nous attendions à avoir chaud à cause de la défense anti-aérienne, mais, aussi étrange que cela paraisse, rien n’est arrivé. En survolant Croisille, nous sommes sortis d’un épais nuage pour découvrir un paysage extraordinaire. A des kilomètres à la ronde, tous les villages étaient des brasiers ardents surmontés de colonnes de fumée, qui, tels des geysers, montaient droit aux nuages. Le long des routes, nous apercevions des colonnes d’hommes en retraite, œuvrant aux défenses Hindenburg. Nous pouvions parfaitement les distinguer à cause des fils de fer barbelés qui les entouraient. Subitement nous nous vîmes pilonnés par une tornade de tirs anti-aériens et furent forcés de retourner dans un nuage. Ce nuage était si épais que nous nous sommes rapidement perdus. J’ai jeté un coup d’œil à mon compas et constaté qu’il pointait vers l’ouest. Je mis donc le cap dans cette direction. A terme, au bout d’une demi-heure de vol, je me suis retrouvé seul dans une trouée. En dessous de moi je découvrais des douzaines de trous d’obus remplis d’eau, autour, des nuages noirs chargés de pluie. Je savais que je me trouvais près des lignes et ne pouvais trop me décider sur la direction à prendre. Me fiant au compas, je poussais vers l’ouest et, finalement, les trous disparurent. Alors que je me trouvais presque à court de carburant j’aperçus quelques hangars. Il n’y avait rien autour, je décidai donc d’atterrir. Arrivé à 200 pieds je décrivis une boucle pour me mettre dans le vent et vis avec effroi un important groupe de soldats allemands sur le sol. J’ai tout de suite imaginé qu’il s’agissait d’un aérodrome de Huns. Aucune machine n’était sortie en raison du mauvais temps. J’atterris, bondis de mon appareil saisis le pistolet fumigène et m’apprêtais à tirer sur mon « grid » quand je découvris avec soulagement deux mécaniciens vêtus en kaki courir vers moi. Je peux vous le dire, je n’ai jamais connu auparavant un tel bonheur de voir des   hommes en kaki. Evidemment, le groupe que j’avais aperçu était composé de prisonniers allemands. Le réservoir rempli, je redécollai et me retrouvai à la maison après une heure de vol. En arrivant, j’appris que les deux autres s’étaient également égarés et ont fait le nécessaire pour retrouver leur chemin. Je jurais qu’à l’avenir j’étudierai d’avantage le pays  avant de retourner m’amuser dans les nuages.

Les 17 et 18 le temps est devenu trop mauvais pour voler. Nous avons donc organisé une « excursion » en tender vers les points les plus proches de la ligne de front, à savoir, Ransart et Monchy au bois, près de la forêt d’Adinfer. En cet endroit s’était trouvé pendant plusieurs mois  une redoutable pièce d’artillerie anti-aérienne. A l’extrémité de cet endroit des squelettes de soldats français étaient accrochés dans les barbelés depuis septembre 1915.

La grande et volontaire dévastation de la région évacuée impressionna beaucoup nos pilotes. Ils étaient horrifiés en découvrant des tranchées encore occupées par les ennemis quelques jours auparavant. Il y avait un côté merveilleux de découvrir dans la mollesse humide de la terre les marques laissées par les pieds et les coudes des allemands et de découvrir les attaches des cartouches  laissées sur les pas de tir par les sentinelles moins d’une semaine avant. Nous nous sommes aussi intéressés à explorer leurs excavations et suivre leur cheminement entre les lignes et les zones de repos à l’arrière. Toutes les routes avaient été dynamitées et toutes les maisons des villages abandonnés avaient été détruites à l’exception de certains bâtiments comme la mairie de Bapaume, piégée par des mines à retardement.

Une des vues les plus impressionnantes était le cimetière allemand qui se trouvait dans chacun des hameaux, soigneusement établi et très bien arrangé avec ses monuments, ses marches cimentées, ses arbustes ornementaux symétriques posés en bordure des ruines des maisons contiguës.

Il y avait assez de souvenirs pour toute une armée, que dire alors d’un seul escadron. Nous prenions bien garde   en les collectant de ne pas tomber dans un piège comme un casque qui exploserait si on le soulève.

Cette expédition est également relatée par Molesworth dans une autre lettre.

Mars 1917 : « La rumeur concernant ma permission est exacte, ainsi je pense arriver bientôt, mon nom étant le prochain sur la liste. La météo est désespérante pour les aviateurs en ce moment. Hier, quelques-uns d’entre nous ont décidé d’aller jeter un coup d’œil aux anciennes tranchées des Boches. Nous avons choisi celles qui se trouvent à l’ouest du bois d’Adinfer parce qu’elles semblaient moins piégées que les autres, plus au nord.

Nous avons emprunté un camion et sommes partis après le petit déjeuner en direction des lignes. Nous avons rejoint nos propres tranchées vers 10 heures et avons laissé là le tender, la route étant en trop mauvais état. Le no man’s land était parsemé de trous d’obus. Quelques troncs d’arbres brisés jalonnaient  la  route, vétérans, invalides de guerre, témoins dressés de la bataille. (Entre autres souvenirs je vous rapporterai un bâton de marche fabriqué à partir d’une branche d’un de ces arbres). Il y avait un bois, plutôt le souvenir d’un bois, à la droite de notre front dans un endroit plutôt calme si on le compare à la complète désolation des champs de bataille de la Somme ou d’Arras.

Le système de défense germanique consistait d’abord en une grosse ceinture de barbelés derrière laquelle il y avait une tranchée de 10 pieds de profondeur équipée de plates-formes de tir et de nids de mitrailleuses. A peu près tous les 50 yards, des passages carrés s’ouvraient sur des excavations souterraines. Les vieux Huns semblaient y vivre bien confortablement, ils disposaient de lits et de tables, çà et là, de magasins de nourriture et de passages reliant les différentes excavations.

Nous avons collectionné les souvenirs avec beaucoup de précautions, nous méfiant tout spécialement des objets piégés qui pouvaient avoir été disposés là où nous allions. Par chance, nous n’en avons découvert aucun. Nous avons entrepris de collectionner des casques, obus, fumigènes et différents menus objets que nous avons remisés dans le tender.

Je vous en rapporterai quelques-uns.

Je viens de recevoir des ordres pour aller attaquer un nouveau ballon. Sitôt de retour, je reprendrai la plume, sauf si un vieux Fritz en décide autrement. 

Deux heures plus tard.

Ca y est, me voilà de retour avec un Hun et une saucisse ajoutés à mon palmarès. Je suis pétri d’angoisse et de fierté depuis que le major m’a annoncé que j’étais nommé commandant de groupe. Je n’ai donc plus de temps vu que je dois arroser cela avec mes coéquipiers qui semblent tous approuver cette décision. »

            Que les ennemis avaient connaissance des intentions offensives des britanniques était une évidence compte tenu de la nette augmentation des survols du front par les Albatros structurés en V mentionnés préalablement. Les performances de ces appareils étaient nettement supérieures à celles des Nieuport et ils disposaient de deux mitrailleuses Spandau tirant à travers l’hélice. De surcroit, « the circus » et ses avions rouges que l’on disait commandé par Richthofen circulait librement durant tout le mois de mars 1917.

Il n’est peut-être plus nécessaire de le rappeler, mais l’offensive aérienne doit toujours précéder l’offensive au sol et bien que celle-ci ait été programmée le 10 avril, le 60ème aura un dur moment à passer avant que cette date n’arrive. Nous manquions d’escadrilles de reconnaissance à ce moment. Le 48ème, équipé de Bristol et le 56ème, un nouvel escadron équipé de SE5s sont bien arrivés d’Angleterre mais devaient se tenir en réserve et avaient interdiction de se montrer sur les lignes avant le « jour  0 » fixé pour lancer l’assaut.

Ball était revenu d’Angleterre à la tête du 56ème pour finir tragiquement à l’occasion de cette bataille après un sévère engagement au cours duquel Meintjies, qui a également rejoint le 56ème après une période de repos chez lui, a été méchamment blessé. Ce dernier est un des meilleurs pilotes et le plus populaire des officiers que le 60ème n’ait jamais eu.

A la mi-mars 1917 les commandants de l’escadron étaient : K.L. Kaldwell qui tomba gravement malade et de revint qu’en juin. C’était un néozélandais, grand ami de Meintjies, que tout le monde adorait. Il était le curieux mélange d’un courageux et très fin chasseur mais très mauvais tireur. En conséquence, il n’attrapa que très peu de Huns. Il remédia ensuite à ce défaut et acquit une très bonne réputation au sein du 60ème et en tant que commandant du 74 en 1918. Les deux autres étaient Alan Binnie, un australien qui a combattu avec la 9ème division à Gallipoli et Black qui tomba malade et fut aussitôt déplacé.