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ARRAS – Le Général Allenby en visite

           Un jour du début de juin le Général Allenby, commandant de la 3ème armée devait inspecter l’escadron à 9 heures du matin. Le commandant de l’escadron est sorti avec son Nieuport, à l’aube, de sa propre initiative. Il n’était pas rasé, en pyjama,  burberry, des pantoufles de lit et des snowboots aux pieds, bref, un costume que nous affectionnions tous de porter en patrouille aux aurores.

            Ce matin-là les lignes étaient anormalement calmes, il poussa donc jusqu’aux environs de Douai. En tournant à l’ouest il aperçut une formation de 8 ou 9 machines au-dessus de Vis en Artois, près de la ligne de front, très en dessous de lui, à environ 8000 pieds. Ils tournèrent et le soleil luisant sur les fuselages réfléchit comme un flash rouge. Cela prouvait que c’était des Huns, et pas n’importe lesquels puisqu’il s’agissait du « cirque » (The circus, groupe commandé par Von Richthofen l’ainé -ndt). Le fait d’avoir l’avantage de l’altitude et comme la formation était à proximité des lignes il décida de tenter la réalisation de quelques dommages. Il vola vers eux en venant de l’est, le soleil dans le dos, piqua sur la machine de tête, lâcha une salve et remonta rapidement afin de garder l’avantage de l’altitude. Après plusieurs piqués de ce type et sans causer d’autres dommages apparents, une patrouille de SE5 du 56ème qui a vu la bagarre se mit de la partie et un très joli « dog fight » s’en suivit. Au cours de celui-ci un des Huns entreprit de se détacher de la mêlée et semblait vouloir rentrer.

            C’était une opportunité pour le Nieuport. N’écoutant que son cœur, le pilote fonça dessus en tirant. L’Albatros semblait ne pas en tenir compte, poursuivant droit sa route. (Entre parenthèses, il a été observé que c’était un bon signe, cela semblait dire que le pilote était mort alors qu’au contraire, quand le pilote était vivant, la machine effectuait des évolutions frénétiques et n’était donc pas le moins du monde « hors de contrôle ».) Au comble de l’excitation, l’homme du Nieuport coinça le manche à balai entre ses jambes et, s’approchant de la queue de l’Albatros, engagea un nouveau chargeur dans son « Lewis », la seule arme qui équipait alors ce type de machines. Bien que très occupé à cette action, son attention fut attirée derrière lui, il tourna la tête pour découvrir, une vingtaine de pieds derrière, le nez gris d’un Albatros de mauvais augure. Avant même d’y songer, le Nieuport bascula vivement à droite et, alors qu’il tournait, la mitraillette spandau de l’Albatros crachait des flammes.

            La salve cribla le moteur et arracha le fond du réservoir, arrosant d’essence les pieds du pilote. A ce moment-là les avions se trouvaient à environ 500 pieds au-dessus de Monchy-le Preux. Sans la présence menaçante du Boche, il aurait été facile au Nieuport de planer jusqu’à Arras et se poser sur un aérodrome avancé ou un hippodrome. Avec un Hun assoiffé de sang à son train et une machine morte, le problème n’était pas si simple. Tournant et zigzagant comme une bécassine, le Nieuport amorça sa descente en veillant bien de rester au-dessus du bon côté des lignes. Heureusement le vent venait d’est. L’Albatros suivait de près, lâchant des salves de mitrailleuse à intervalle régulier, manquant heureusement sa cible parce qu’il n’est pas facile de viser un appareil dont le pilote est conscient de votre présence. Il était têtu, le Hun, il ne voulait pas céder et continua sa chasse jusqu’à 300 pieds, à quelques centaines de yards à l’ouest de Monchy-le-Preux quand, subitement il lâcha prise et s’en retourna pour déclarer, sans aucun doute, la destruction d’une machine britannique.

            Avec un soupir de soulagement, le pilote du Nieuport tourna son attention vers le sol. Il ne vit rien que des trous d’obus en dessous de lui et jugea que le crash était inévitable. D’un coup une bande de terre d’une centaine de yards, vierge de trous et très proche, attira son regard. Une paire de virages en « S » lui permirent de tenter un atterrissage en douceur. La machine roula et allait juste s’arrêter quand un trou d’obus apparut. Elle y glissa doucement sans causer aucun dommage.

            Une paire de tirailleurs poussiéreux arrivèrent aussitôt et, avant de dire un mot, lui tendirent un paquet de « Woodbines ». Le pilote du Nieuport, en les remerciant, en prit une et l’alluma. L’enquête montra qu’une batterie anti-aérienne avancée se trouvait à proximité. Les officiers offrirent le petit déjeuner à l’aviateur et, mieux encore,  lui procurèrent un téléphone. A l’aide de celui-ci il entra en contact avec son escadron et demanda qu’une voiture vienne à sa rencontre, en traversant Arras, sur la route de Cambrai. Il se faisait tard et une inspection d’un commandant d’armée n’était pas une chose à prendre à la légère. Les conclusions d’autres enquêtes montrèrent qu’une colonne d’approvisionnement en munition d’artillerie lui prêta un cheval et une ordonnance. Il n’y avait pas de selle et le pilote monta à cru. L’animal qui avait le pas rude et la bouche ferme le mena sur le bon chemin. En peu de temps il rejoignit la voiture et rentra à toute allure, à travers Arras, au Hameau, juste pour voir Allenby, le commandant de brigade (général J.R. Higgins) et Georges Preytiman arriver à la base. Sa tenue n’étant pas vraiment celle qui était prescrite pour les inspections, le misérable officier plongea dans sa baraque, battit le record du monde du rasage le plus rapide et approcha timidement du cortège scintillant.

            Tout le monde était furieux contre lui à l’exception du Général Allenby qui était plutôt amusé et très compatissant. Il reçut néanmoins un « rappel à l’ordre » bien mérité du Brigadier commandant l’escadron et vit la troupe s’éloigner avec un profond soulagement.

Le récit de ce combat peut vous sembler long mais il n’est pas dit, en quelque sorte, que cela a quelque chose d’exceptionnel. Pour mémoire, durant toute l’histoire de notre escadron, nous avons comptabilisé 1500 combats différents, tous relatés par un rapport détaillé. Bien sûr, les limites d’un livre comme celui-ci ne nous permettent pas de vous les relater tous.