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ARRAS – Bishop est arrivé

            Au début de ce mois (le jour précédant le décès de Grave pour être précis – c à d le 6 mars 1917 -) W.A. Bishop nous a rejoint. Il était le fils d’une famille bien connue de Montréal. Issu du « Royal Military College » il avait rejoint la cavalerie canadienne et faisait partie du premier contingent canadien à traverser l’océan. Dès son arrivée en Angleterre, il insista pour rejoindre le « Flying Corps » et fut engagé comme observateur au 7ème escadron. Après un petit tour en France dans cette fonction, il retourna en Angleterre pour apprendre à piloter et fut affecté à notre escadron dès qu’il a réussi à obtenir ses ailes.

            Il est curieux de constater avec quelle vitesse les mécaniciens de l’escadron ont reconnu ses qualités. Quelques jours à peine après son arrivée, les sergents organisèrent une après-midi musicale et il est remarquable que, parmi le peu de toast qui ait été porté on en ait proposé un à la santé de Bishop alors qu’il n’avait encore abattu qu’un seul ennemi et qu’aucun officier n’avait une idée précise de la brillante carrière qui se dessinait.

            Les circonstances qui l’ont conduit à son premier succès sont remarquables compte tenu du fait que son appareil lui avait échappé le mettant dans l’obligation de se poser tout près des premières lignes. Son succès est dû, en fait, à sa position supérieure dans le combat en piqué. La panne de son moteur était due à son inexpérience, il ne savait pas maîtriser l’étouffement de la machine au moment de la plongée. Comme il avait atterri dans un endroit très exposé, il s’est précipité dans une excavation occupée par des fantassins et, avec leur aide, a réussi à déplacer l’avion à l’abri des tirs de l’artillerie allemande. En pleine nuit il emprunta une brosse à dents à l’officier commandant le groupe et entreprit de nettoyer une à une les têtes des bougies. Pendant ce temps, l’escadron qui était resté sans nouvelles de lui allait le porter disparu au moment précis où il réussit à les joindre par un message téléphonique.

            Les machines de notre corps, les yeux de l’artillerie, étaient abattus en nombre, chaque jour, dans la vallée de la Scarpe, en dépit des efforts réalisés par le 29ème (aussi sur Nieuport), le 11ème, sur FE2b. Le sol, des deux côtés de la rivière étaient jonchés d’épaves d’avions. Les appareils de reconnaissance, dont les pertes étaient encore plus lourdes, tombaient fréquemment loin des lignes, en territoire ennemi.

            Le travail à cette époque consistait essentiellement à effectuer des patrouilles offensives (ces actions se déroulaient à l’est des machines d’artillerie et visaient à garder l’air exempt d’avions ennemis), à faire des reconnaissances et parfois à accompagner les patrouilles de bombardiers ou de photographes.

            Le 7 avril M.B. Knowles, C.S. Hall et G.O. Smart – ce dernier était à l’origine un pilote N.C.O. qui a été tardivement  affecté au combat par acte de courage- ne sont pas revenus de leur engagement avec des forces ennemies nettement supérieures.

            A cette époque il était difficile d’obtenir toutes les photographies nécessaires à l’armée en raison de l’activité ennemie dans les airs. Quand une information spéciale sur un point précis était demandée, le 60ème était parfois sollicité pour prendre les photos. Il faut croire que les Huns ne pouvaient pas supporter de voir nos avions prendre des photos et ne se montraient pas avares en ces temps d’attaquer nos formations. Ce n’était franchement pas facile de piloter un monoplace très sensible, surveiller les Huns et exposer les plaques en même temps.

            Ici suit la description d’un combat relaté par Molesworth :

Avril 1917 : « Enfin un Hun !

Nous sommes sortis ce matin conduits par notre nouveau commandant d’escadron, qui nous semblait un des meilleurs. Notre précédent C.O. a été abattu en flammes de notre côté des lignes lors d’un combat. Ce fut une grande perte pour l’escadron et nous l’avons enterré avec les honneurs militaires dans le cimetière d’un petit village voisin.

Cinq d’entre nous participaient à cette patrouille, j’étais en dernière position sur la gauche. Nous nous sommes dirigés vers les lignes à environ 10 000 pieds  puis les avons passées en direction de Douai. Très rapidement nous avons découvert une patrouille de biplaces Sopwith au nord-est d’Arras filant le plus rapidement possible vers les lignes avec un énorme paquet de Huns à leurs trousses. Ces derniers réussirent à abattre la dernière machine en flammes. Le pauvre diable s’écrasa en brûlant dans une fournaise.

Le major fonça immédiatement sur les Huns et je compris que j’allais participer à mon premier véritable gros combat. Le leader nous vit arriver et tourna vers l’est, le nez très bas. A notre tour de le rattraper et d’entreprendre le combat. Il s’ensuit l’habituel « dog-fight » (combat de chien : quand toutes les machines se mélangent en une sorte de mêlée). Je tentais de me placer derrière un biplace Hun qui se tenait à l’écart de la bagarre. Il ne semblait pas troublé par mon battage et allait calmement. Mon excitation me fit perdre la tête et je partis en vrille vers le sol. En m’en sortant, je vis un Albatros de reconnaissance à moins de 50 yards devant moi, si peu éloigné de lui que je le vis partir en vrille et s’écraser au sol pour mon plus grand plaisir.

Ayant perdu le reste de la formation je choisis de rentrer. J’appris, après mon atterrissage, que nous avons comptabilisé trois Huns. Le biplace que j’ai tenté d’avoir était connu sous le nom de « cochon volant » compte tenu de la ressemblance de l’observateur avec les rondeurs de cet animal.

Pour parler des pertes, ça a été très chaud ces derniers jours.  Cependant, vingt Huns ont été enregistrés dans ce temps et bien plus comptabilisés comme hors de contrôle de sorte que nous espérons battre le record du R.F.C. »

            De la dernière semaine de mars à la dernière semaine de mai nos pertes étaient sévères. En fait, en ajoutant  les malades, les blessés abattus de notre côté des lignes, nous avons perdu 35 officiers en huit semaines, soit presque deux fois le nombre de notre escadron qui compte 18 pilotes plus le commandant. Nous étions particulièrement malchanceux un week-end d’avril, les 14, 15 et 16. Le samedi, le groupe A est sorti avec 6 appareils (en totalité, donc), un seul est revenu. Binnie conduisait le groupe. Il a été blessé à l’épaule alors qu’il essayait d’extraire deux des siens d’une nuée d’ennemis. Le sang jaillit dans la nacelle, masquant les instruments et, en prime, sa machine prit feu. Il éteignit l’incendie et tenta de revenir en planant. Après cela, la machine a dû se tourner vers l’ouest puisqu’elle atterrit dans un petit parc à Lens, heurtant le sol. Le pilote quoiqu’ inconscient n’avait pas d’autres blessures. Il perdit son bras à partir de l’épaule et fut retenu comme prisonnier jusqu’au printemps 1918 quand il fut libéré et qu’il se remit immédiatement à voler. Ce fut une grande perte pour l’escadron. C’était un commandant de première classe qui a abattu de nombreux Huns et aurait pu encore en abattre tout autant. Le jour suivant, dimanche, le groupe C, encore à 5, perdit deux pilotes : le premier, le major Milot, un franco-canadien, a été tué, l’autre, Hervey, titulaire de croix militaires comme observateur, pilote très prometteur, a dû atterrir de l’autre côté des lignes, touché par les batteries anti-aériennes. Dans cette patrouille, Bishop qui venait juste d’être promu capitaine abattit deux Huns et un ballon alors qu’il n’en était qu’à son cinquième ou sixième combat. Le lundi, le groupe C (celui de Bishop) est sorti sans son commandant de groupe et un seul, Youg, en revint. Ce qui veut dire que, en trois jours, on perdit 10 pilotes sur 18. Ils furent remplacés par des officiers justes venus d’Angleterre. Ils n’avaient jamais piloté ce type particulier de machines qui n’existaient pas outre-manche. Nos machines étaient venues de Paris et la chance d’un voyage retour était  impatiemment attendue par tous nos pilotes.

            Certaines de ces machines n’étaient pas de construction solide et commençaient – pour ajouter à nos angoisses – à se désintégrer en l’air. Celui du lieutenant Grandin tomba en pièces alors qu’il plongeait sur un biplace ennemi, cependant, cela peut-être dû aux dégâts occasionnés par les tirs de mitrailleuse. Celles de Caffyn et Brackenbury se démontèrent alors qu’ils tiraient sur des cibles au sol placées sur l’aérodrome, tuant le premier, tandis les ailes de Ross se replièrent vers le haut alors qu’il redressait l’appareil à l’issue d’une plongée après un tir en rafale. Il fut gravement blessé mais s’est remis depuis.

            Un grand show fut celui de Penny qui, après avoir perdu ses ailes inférieures en piquant sur un Hun, ramena la machine et se posa sur un de nos aérodromes. Il rapporta cela à son supérieur de la manière suivante : « J’ai perdu mes ailes inférieures, aussi j’ai trouvé préférable d’atterrir. Désolé d’avoir quitté la patrouille, Sir. »

            La raison de ces accidents était avant tout la qualité du bois trop vert utilisé par les manufactures françaises qui reconnaissaient également avoir inséré un très grand nombre de petites vis dans les longerons principaux qui les fragilisaient énormément. Le Haut Commandement en fut informé et les choses furent rapidement remises en ordre.

C’est durant cette bataille que le R.F .C. commença à prendre une part active aux opérations au sol en mitraillant les troupes durant les attaques. Le groupe C fit merveille le 11 mai sous le commandement de Fry qui fut nommé M.C. pour l’occasion, en tirant sur l’ennemi dans une coupe à l’est de l’usine chimique de Roeux, dans la vallée de la Scarpe. Les pilotes revenaient quand ils étaient à court de munitions, faisaient le plein de pétrole et de 300 anneaux pour mitrailleuse avant de décoller aussitôt pour l’usine chimique sans attendre les ordres. L’un d’entre eux, E.S. Howard, qui a été tué sept jours plus tard en escortant des appareils chargés de photographier, a décrit ainsi cette aventure :

18 mai 1917 : « Dans la nuit de vendredi l’infanterie mena une attaque dans le secteur de Fampoux et nous avons été requis pour l’assister. Dès qu’ils montaient à l’attaque, nous vidions nos chargeurs dans les tranchées des Huns. Nous avons fait un magnifique barrage ; c’était beau à voir mais pas trop agréable à survoler car les éclats des obus atteignaient nos machines. En revenant du spectacle nous avons juste pourchassé trois Huns au-dessus de leurs lignes et gardé un œil sur eux pour qu’il ne leur prenne pas l’idée de revenir. »

            Ce vol à basse altitude, appelé « low flowing » devenait de plus en plus populaire auprès du haut commandement, mais pas auprès des pilotes, au fur et à mesure que la guerre avançait. En fait, lors de l’offensive allemande de mars 1918, il est matériellement certain que nous avons largement contribué à stopper l’avance des Boches sur le front de la 5ème et de la 3ème armée.